Le résumé :
Deux personnes se retrouvent cinq ans après leur rupture dans des conditions un peu particulières.
5 ans plus tard
Écrit par FFrules
CINQ ANS PLUS TARD |
Mais que fait-elle ? Cela fait presque une heure que je l’attends. Je suis certain qu’elle en fait exprès. Ou alors, elle ne va pas venir. C’est le plus probable. C’est ce que je ferai aussi si je recevais une invitation d’un mec que j’ai plaqué cinq ans plus tôt.
Je fais les cent pas dans mon bureau qui est plongé dans l’obscurité seulement troublée par l’éclat bleuâtre de l’écran d’ordinateur que j’ai laissé allumé au cas où l’inspiration me viendrait sans prévenir. On pourrait croire que les écrivains préfèrent la sensation du stylo sur le papier quand ils composent de nouvelles histoires. C’est peut-être vrai pour les autres, mais pour moi, rien n’est meilleur que d’écrire sur mon vieil ordinateur, infatigable compagnon de route depuis bien des années, témoin des galères et des joies que j’ai traversés.
Elle ne va pas venir. Il est déjà plus de 21h en ce froid mois de janvier et elle n’est toujours pas là. Peut-être n’a-t-elle pas compris l’importance de cette invitation, peut-être a-t-elle cru à une plaisanterie de mauvais goût, peut-être ma carte a-t-elle finie dans une poubelle par l’action d’un mari trop possessif ? Ou alors, elle a décidé en son âme et conscience que je n’en valais pas la peine.
Ou peut-être pas. On vient de frapper. C’est elle qui se tient sur le pas de ma porte, un peu gênée, ne sachant que faire. Elle est habillée assez élégamment et son visage est le même que dans mes souvenirs. Les pattes d’oies naissantes au coin de ses yeux lui donnent un air plus mature, plus femme ce que j’apprécie.
- Salut, dis-je d’une voix douce.
Elle ne répond pas et je sens derrière sa gêne une certaine froideur. Elle entre malgré tout et l’étonnement en découvrant mon appartement peut se lire sur son visage. Je jubile intérieurement.
- On va aller dans le bureau pour être plus tranquille, si tu veux bien, dis-je en lui montrant le chemin. Tu as trouvé facilement ?
Elle fait « oui » de la tête et me précède dans les couloirs.
- Tiens, assis-toi là.
Je lui montre une chaise placée devant mon bureau avant d’allumer une lampe qui confère à la pièce un éclairage digne d’un fumoir des années 20. Le lambris sur les murs adoucit les tons pourpres du mobilier et des fauteuils. C’est la pièce de mon appartement dans laquelle je suis le plus à l’aise, c’est ici que j’écris.
- Il ne fait pas chaud dehors, hein ? reprends-je d’une voix que je souhaite chaleureuse.
Elle hausse les épaules. Pendant quelques minutes, nous ne disons rien, moi absorbé par la neige qui tombe dehors et elle, jouant nerveusement avec les lanières de son sac. J’ai imaginé cette rencontre un bon millier de fois et maintenant que je suis face à elle, je ne sais plus quoi dire. Je me rends compte que je n’avais strictement aucune bonne raison de la faire venir si ce n’est celle de la revoir tout simplement. Seulement, je doute que cela lui fasse autant plaisir que moi.
- Pourquoi suis-je ici Will ?
Elle dit cela avec une voix exaspérée, comme si je lui tapais déjà sur les nerfs. Je ne connais que trop bien cette voix. Elle la prenait sans cesse quand nous étions ensemble, surtout vers la fin de notre relation.
- Je vais me marier, Ann et...et j’ignore pourquoi je t’ai fait venir ici pour te le dire.
Elle prend un air étonné, bien trop vite suivi par celui outré qu’elle affectionne tant.
- Que veux-tu que cela me fasse, Will ? Cela fait cinq ans que nous sommes séparés ! Cinq ans ! Tu n’as toujours pas compris ?
- Je...Cela me paraissait important que je te le dise en face.
- Je suis au courant de ton mariage !, éclate-t-elle. Tous les journaux en parlent ! « L’auteur du plus gros best-seller de la décennie se marie avec Elvira Reyes, la présentatrice vedette » et autres « Mariage de l’année » ! J’étais peut-être même au courant avant toi ! Mais je sais très bien ce que tu voulais, Will. Tu voulais m’impressionner dans ton bel appartement avec ta belle réussite.
Je retrouve bien là mon Ann, prête à exploser dans la seconde, passant du calme à la tempête avec une simplicité déconcertante. C’est bon de voir que dans ce monde en proie aux changements, certaines choses ne changeront jamais. Elle croise les bras avec force sur sa poitrine tandis que j’esquisse un petit sourire.
- Qu’est-ce qui te fait rire ? Tu trouves cela drôle de m’humilier en me balançant au visage toute l’étendue de ta richesse ? Richesse que, soit dit en passant, tu as obtenu en écrivant un livre sur notre relation et dans lequel je passe pour une sombre conne.
Aïe. Nous en arrivons au sujet qui fâche. Je le sentais arriver et je mentirais si je disais que je n’avais pas voulu provoquer ce choc entre nous deux. Il est temps de solder notre compte commun.
- Tu as lu mon livre ? demandé-je.
- Bien sûr. Comme 50 millions d’autres personnes dans notre pays et plus encore dans le monde entier. Pour ça, c’est sûr, c’est un best-seller. Pas de doute.
Il y a tant d’amertume dans sa voix que cela me gêne.
- Je ne vois pas pourquoi tu es en colère. C’est toi qui m’as quitté, je te rappelle. Je n’ai fait que romancer notre histoire pour pouvoir y mettre ce que je ressentais quand tu es partie. Ça a plu aux gens, je n’y suis pour rien.
Elle me jette un regard noir, celui qui veut dire « un-mot-de-plus-et-je-sors-en-trombe-de-la-pièce », très fréquemment utilisé dans la troisième année de notre couple.
- Page 49 de l’édition poche, « Elle me gonfle avec ses chaussures horribles. Si elle savait à quel point je les déteste ses chaussures. Elle m’emmène pendant des heures faire les magasins pour trouver les bottines qui iront avec sa nouvelle robe alors que moi, tout ce que je veux, c’est que l’on soit tous les deux, chez nous, entre amoureux.» Je passe pour une superficielle qui se préoccupe plus de ses chaussures que de son couple.
Je souris encore.
- Oui, j’ai forcé le trait mais ce n’est qu’un roman, Ann. Je ne prétends pas apporter la vérité vraie sur notre couple, j’extrapole, je m’interroge, je constate, je m’exprime. Ce que je ne pouvais pas faire quand nous étions ensemble.
- Quoi ? Tu te fous de moi, là, Will ? Quand t’ai-je empêché de faire ce que tu voulais ? Je n’attendais que cela, moi. Que tu me parles, et pas que tu bougonnes sans cesse.
- Et quand aurais-je pu le faire ? Tu jactais sans cesse pour nous deux, je ne pouvais qu’être d’accord ou la fermer. Parler tout le temps n’est pas forcément communiquer, Ann.
Nous nous taisons à nouveau. Je suis maintenant assis derrière mon bureau et elle me regarde intensément. Je savais lire dans ses yeux auparavant, mais je me rends compte que c’est impossible désormais. Elle avait peut-être raison tout à l’heure. J’avais sûrement envie de lui en mettre plein la vue, de lui montrer ce à côté de quoi elle était passée en me quittant.
- Pourquoi suis-je ici, Will ? répète-t-elle avec une voix plus douce.
Je ne réponds rien. Elle prend cela comme un encouragement pour continuer.
- C’est à cause du mariage n’est-ce pas ? Tu n’as jamais été emballé par cette idée quand nous étions ensemble. Cela m’a surpris de l’apprendre.
- C’est vrai qu’Elvira m’a un peu forcé la main. Mais je l’aime.
- Page 222. « Nell ne me connaît pas en fait. Nous sommes des amants qui ignorent tout de l’autre et c’est triste.» Je te connais, Will. Quoique tu en penses, je te connais, mieux que quiconque. Tu es terrifié par le mariage. C’est pour cela que je suis ici, n’est-ce pas ? Tu penses que je vais t’en dissuader par n’importe quel moyen. Mais je ne te servirai pas d’alibi, pas cette fois-là.
Touché. Elle me connaît bien en fait. Mais se pourrait-elle qu’elle ait raison ? L’idée de me marier m’effraie-t-elle tellement que je sois obligé de faire venir l’une de mes ex pour trouver un moyen de l’éviter ? Merde alors. Je ne l’avais pas vu venir celle-là. Et je fais quoi maintenant ?
- Tu prends tes responsabilités, dit subitement Ann comme si elle avait lu dans mes pensées. Soit tu l’épouses, soit tu la quittes, mais tu ne lui fais pas espérer quelque chose que tu es incapable de lui offrir.
- Pourquoi m’as-tu quitté Ann ?
Elle pousse un soupir et se renfonce dans son siège.
- C’est une question bien vaste, Will et tu ne vas pas apprécier ce que je vais te dire.
- Dis toujours. Cela fait cinq ans maintenant. Je pense être capable d’encaisser.
- D’accord. Je t’ai quitté parce que, malgré ce que tu as écrit dans ton bouquin, tu n’étais pas parfait...
- Je n’ai jamais écrit que j’étais parfait, la coupé-je.
- Tu veux bien me laisser continuer, oui ? Tu as des défauts comme tout le monde, mais je ne les connaissais pas au début. Et par la suite, j’ai appris à les ignorer. Mais je ne voyais pas où nous menait notre relation. Tu es du genre statu quo et j’aime bien évoluer, tu aimes pantoufler et j’aime bouger, tu es la nuit et je suis le jour. Ça ne collait pas, voilà tout. C’est aussi simple que cela.
- Tu aurais dû m’en parler au lieu de partir du jour au lendemain.
Ma voix s’est radoucie alors que l’horloge tictaque discrètement dans la pièce. Il est bientôt onze heures. Nos non-dits et nos silences monopolisent le temps et notre discussion.
- Je sais, Will. Je regrette la façon dont je t’ai quitté mais il me fallait une coupure nette sinon je ne serai jamais partie.
- Tu regrettes ?
Je tente quelque chose mais je ne sais pas quoi. Je ne sais pas pourquoi il me faut toujours avoir le sentiment d’être regretté ou apprécié. Peut-être une tare humaine.
- Parfois. Quand je m’endors ou quand je rêve. Mais jamais quand il fait jour. Je suis le jour et tu es la nuit, souviens-toi.
- La moitié de ta vie donc.
- Beaucoup moins que la moitié, ne va pas t’imaginer des choses.
C’est elle qui sourit maintenant.
- Je ne comprends toujours pas pourquoi tant de gens ont acheté ton livre. L’écriture n’est pas terrible, les personnages convenus et les situations déjà vues et revues.
- C’est justement ce qui a plu aux lecteurs selon mon éditeur. Le fait que les gens se retrouvent dans notre histoire. Et crois-le ou non, mais certains aiment ma façon d’écrire, dis-je en esquissant un faible sourire.
Nous sourions tous les deux à présent. Le froid entre nous fond plus vite que la neige qui tombe dehors.
- Tu es mieux avec ta barbe, me dit-elle alors, comme si nous étions redevenu un couple.
- Merci, c’est une idée de mon attachée de presse. Il paraît que cela fait plus tourmenté.
- Cela fait surtout plus adulte. Tu es devenu un adulte, Will, et ça me fait bizarre.
Nous chuchotons presque, comme si nous ne voulions pas que les murs entendent notre conversation.
- Je n’aime pas ta fiancée, continue-t-elle. Elle semble froide, distante, tout ton contraire.
- Tu as perdu le droit de critiquer ma vie quand tu m’as quitté, Ann.
Ses lèvres forment un sourire sans joie.
- Exact. Je me rends compte que couper totalement les ponts avec toi n’était pas une bonne idée. Tu étais mon meilleur ami en plus d’être mon amant, quoiqu’en dise ton bouquin.
- Laisse mon livre où il est, tu veux. Il ne s’agit pas de lui, mais de nous. Et tu nous as tué.
Serait-ce une larme que j’entrevois au coin de ses yeux ? Bravo Will, tu as fait pleurer la femme qui comptait plus que tout pour toi il n’y a encore pas si longtemps. Devrais-je me sentir autant égoïstement fier qu’une femme pleure à cause des sentiments qu’elle éprouve encore pour moi ? Je me lève et la prend dans mes bras, elle qui pleure doucement dans mon fauteuil. Nous restons comme cela toute la nuit, l’un collé à l’autre dans l’obscurité diffuse de mon bureau.
Quand mes yeux s’ouvrent finalement sous l’action des timides rayons du soleil, elle n’est plus là. Quelques mots sont marqués sur une feuille de papier blanc posée sur la table basse devant le canapé où je me suis assoupi.
« Soleil apparu, ton souvenir disparu
Nuit revenue, mon cœur vaincu »
C’est ici que je préfère que se termine notre histoire : au petit matin, durant ce court moment entre le rêve et le réveil où l’on se souvient avoir rêvé. Je crois que c’est là que je l’aimerai toujours.
Quelqu’un frappe à la porte de mon bureau. Je dis « Entrez » d’une voix pâteuse mais je doute qu’elle ait compris ce que je disais. Elvira entre quand même et sourit en me voyant avachi dans le canapé.
- Tu as travaillé toute la nuit ? me lance-t-elle d’un air entendu.
Je fais non d’un signe de tête et elle vient m’embrasser.
- Je n’ai pas osé te déranger hier soir, tu semblais si concentré devant ton ordinateur.
Je suis parfaitement réveillé à présent et tout est clair dans mon esprit depuis bien longtemps.
- J’ai trouvé une bonne idée de suite pour mon bouquin.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire