Résumé :
Un homme voyage à travers le monde. Un beau jour il est parti de chez lui laissant tout derrière : femme, famille, boulot... Mais son voyage arriverai-t-il enfin à terme ?
Voyage(s)
Écrit par : FFRules
Le train avance vite entre les arbres recouverts de neige. Dehors, le soleil a fait son œuvre, changeant les paysages gris en de magnifiques décors qu’on dirait tout droit sortis d’une peinture.
Les ombres des sapins se dessinent sur les étendues de neige scintillante qui me font plisser les yeux. Je détourne le regard pour me concentrer sur les quelques personnes qui peuplent mon wagon. Elles ne sont pas nombreuses et la plupart est cachée par les sièges verts et décrépis. Mais depuis le départ, j’ai remarqué une jeune femme qui est assise en sens inverse au mien, dans l’alignement parfait des rangées si bien qu’où je porte mon regard, je tombe sur elle à chaque fois, mes yeux semblant être attirés vers elle.
Je lui donne la vingtaine, même si dans ce pays, les apparences sont parfois trompeuses. Elle a les cheveux noirs, probablement teintés pour cacher la blondeur naturelle propre à son peuple. Ses yeux bleus sont dirigés vers l’extérieur, mais vers le ciel plutôt que les paysages. Elle semble pensive, comme si ce train l’emmenait loin de quelque chose qu’elle a du mal à oublier. Je comprends ce regard, je le connais par cœur. C’est celui que je porte sur mon monde depuis bientôt deux mois.
Je frotte ma barbe rêche dont j’aime à croire qu’elle me donne un air de globe-trotter. Non, pas vraiment globe-trotter. Globe-trotter, c’est un mot pour les jeunes et je ne suis plus vraiment jeune. J’ai un peu plus de trente ans, donc le terme le plus approprié serait sans doute « baroudeur ». Une barbe de baroudeur. Oui, c’est mieux.
Je frotte ma barbe de baroudeur en reportant mes yeux vers les plaines blanches de ce pays inconnu. Une pensée me fait sourire. Avant, c’était ma vie qui défilait devant mes yeux. Maintenant, ce sont les paysages et c’est pour le mieux. Ai-je bien fait de partir ? Je n’en doute pas un seul instant. Etait-ce la meilleure façon de partir ? J’en doute encore. Mais c’est ainsi que cela s’est passé et je n’y peux rien changer.
Je change de chanson sur mon baladeur numérique, en préférant une qui s’accorde mieux avec le moment. Une lente ballade d’Eva Cassidy pour souligner l’aspect mélancolique des paysages déserts, vierges qui s’offrent à moi comme si j’étais le premier à les souiller de mon regard. C’est presque impudique alors je détourne les yeux une nouvelle fois.
La jeune femme est toujours perdue dans ses souvenirs, la tête baissée désormais sur ce qui me semble être une photographie. Elle esquisse un pâle sourire en caressant l’image. Il y a un peu de tristesse et de nostalgie durant un court moment avant que son rire ne devienne plus franc. Je n’ai pas de photos sur moi, je n’en ai pas besoin. Pas pour là où je vais. Elle rit toujours, porte la main à sa bouche comme si elle tentait de s’arrêter. Est-elle vraiment en train de quitter quelqu’un ou est-elle en train de le rejoindre ? Je ne saurai dire. Tout ce que je sais, c’est que j’aimerai que quelqu’un pense à moi quelque part, en regardant une ancienne photo et riant comme elle, en se souvenant d’une plaisanterie dite, d’un bon moment passé ensemble.
La rame saccade avant de s’arrêter quelques minutes pour laisser descendre plusieurs personnes à une petite gare déserte qui n’est entourée que de sapins. Je ne descends pas, pas encore. Peut-être le prochain arrêt, qui sait. Cette liberté de mouvement fut au début très surprenante. Aujourd’hui encore, je me demande parfois si je fais bien d’aller ici ou là, avant de me rappeler que je suis seul à décider. Je ne sais pas ce que je cherche, mais je le saurai quand je le trouverai.
Je suis parti un matin, en laissant un mot sur la table de la cuisine. J’ai attendu que ma compagne parte travailler puis j’ai fait mes valises et je suis parti. J’ai pris le premier avion en partance à l’aéroport qui m’a emmené dans cette contrée enneigée. Je laisse faire le destin, il connaît le chemin de cet endroit que je recherche. Nul besoin de cartes ou de guides touristiques.
Au bout de deux semaines, j’ai envoyé un mail à ma famille pour ne pas qu’ils s’inquiètent et depuis, ma boîte électronique est le seul lien avec mon passé. Les messages s’accumulent, des spams pour la plupart, d’autres ont pour titre « Où es-tu ? ». Je les lis mais je n’y réponds pas. Depuis longtemps, je parle de partir comme cela à l’aventure, mais c’était plutôt dans l’optique d’un voyage en amoureux avec ma compagne. Je ne sais pas si elle me le pardonnera un jour, mais pour être franc, je m’en fiche. Je fais tout cela pour moi et moi seul.
Dans l’un de ses derniers mails, elle m’a demandé si c’était le fait d’être à l’étranger qui m’attirait ou le fait d’être loin d’elle. Je n’ai pas répondu, peut-être parce que je ne veux pas répondre. Peut-être que la réponse me fait peur, je n’en sais rien en fin de compte. Il me fallait partir, point. Je laisse à mes futurs psychologues le soin d’étudier cela.
La jeune femme remet ses chaussures qu’elle avait enlevées au début du voyage. Je l’ai imité alors et maintenant, j’hésite à faire de même. Le prochain arrêt est-il le bon ? Un petit regard dehors m’en apprend un peu plus. Ce qui semble être des lacs gelés, des forêts immenses et un ciel bleu. Oui, c’est ici.
Elle se lève et je la vois se préparer à descendre. Le train décélère, je remets mes lunettes de soleil et je me lève à mon tour, en ajustant les lanières de mon sac à dos. L’air est froid dehors, c’est normal, nous sommes dans le nord. C’est si calme, pas de bruit de voitures. La civilisation rugit un peu plus loin dans le pays, dans l’une de ses métropoles bruyantes et polluées. Mais pas ici.
Mes chaussures de marche produisent un bruit sur la neige que j’aime entendre. Souvenirs d’enfance, de batailles de boules de neige, de ski emmêlés, de vêtements trempés, et toujours cette odeur particulière. La neige a une odeur et j’aime la sentir sur moi. Je pourrais passer des heures à marcher comme cela, juste pour entendre ce son si apaisant qui célèbre chaque pas de plus vers ce qui me semble être ma renaissance.
Les hauts sapins tout autour de moi ne bougent pas, faute de vent, mais parfois des flocons de neige tombent de leurs branches et flottent autour de moi, telles de minuscules fées qui dansent et me montrent le chemin. J’accélère le pas, nous sommes proches, je peux le ressentir. Dans ma poitrine, le battement de mon cœur se fait plus rapide, je touche à mon but, même si je ne distingue rien entre les troncs des sapins qui me bouchent la vue.
A gauche ? à droite ? Je vais au milieu, je continue d’avancer, le souffle chaud que j’expire montant en volutes de vapeur autour de mon visage. Mes chaussures s’enfoncent profondément dans la neige et l’humidité froide commence à engourdir mes pieds, mais je ne m’en préoccupe plus. C’est par ici, derrière ces arbres, un peu plus loin.
Je suis à présent en hauteur et devant moi, le sol descend en pente douce vers ce qui semble être un lac gelé entouré de forêts. Je constate en jetant un coup d’œil sur ma montre que je suis un peu en avance. Le soleil ne se couchera que dans une heure, je ne dois pas me précipiter. Assis dans la neige à attendre en contemplant le lac et les paysages alentours, mon passé me rattrape pour dessiner une esquisse du futur.
Ici, tout est simple. Là-bas, tout sera compliqué. L’idée de ne pas rentrer me traverse brièvement l’esprit, avant d’être finalement repoussé par la voix de la raison. Je ne suis plus le gamin rêveur qui voulait vivre dans ce cadre magnifique quand il était enfant. Je suis un adulte, avec les responsabilités que cela suppose. Celles liées au travail, si mes employeurs me pardonnent mon absence injustifiée, liées à ma famille, si elle me pardonne mon absence irraisonnée, liées à mon amour, si elle me pardonne mon absence égoïste. Le syndrome de Peter Pan n’a jamais semblé plus attirant qu’en ce moment même.
Le soleil s’apprête à disparaître derrière les sapins au loin et comme une insulte à cette nature, je sors mon appareil photo. Il n’est pas plus gros que ma main mais semble être une énormité mécanique face à cette nature. J’ai pourtant une bonne excuse. S’il y a une chose que je sais, c’est que la mémoire est la première chose que je perds. Tous ces détails qui ont fait mon passé disparaissent peu à peu et je sais qu’un beau jour, je ne me rappellerais plus de ces paysages. Alors je triche et je prends en photo ce coucher de soleil.
Les étoiles et la lune apparaissent dans le ciel sans nuages et je descends vers ce lac qui m’appelle depuis bien trop longtemps. Depuis combien de temps ces terres n’ont-elles été foulées par un pied humain, je ne saurai dire. Mais, comme tout humain, je laisse mon empreinte, je change le paysage, le rendant un peu plus laid, même si mes dégâts ne sont que peu de choses.
Une fine couche de neige cache la glace qui craque un peu quand je pose le pied dessus. Le ciel est devenu à présent totalement noir et la pleine lune projette ses rayons sur moi et mon monde, rendant la neige luminescente. J’avance avec précautions vers le milieu du lac, pas par peur de voir la glace céder ce qui n’arrivera pas, mais par envie de profiter de chaque moment.
Je m’arrête et je respire profondément. Quelque chose a disparu en moi, un manque est comblé. C’est ici. Mon cœur bat la chamade, c’est un peu comme être amoureux mais en plus exaltant. Je dois me poser, toucher cette glace, alors j’étends mon corps de tout son long.
Le froid s’empare de moi tandis que je soupire de contentement. En ce moment précis, je suis exactement là où j’ai toujours eu envie d’être, allongé dans cette fine couche de neige posée sur la glace du lac et rendue luminescente par l’éclat de la lune. J’ai l’impression d’être entouré par de la poussière d’étoiles et le froid se retire petit à petit. Je ne saurai l’expliquer, mais je me sens bien, en sécurité. Je suis arrivé au bout de mon monde.
Je fouille dans ma poche, à la recherche de mon téléphone portable sur lequel je pianote un numéro. Au bout de deux sonneries, une voix ensommeillée répond mollement.
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