Résumé :
Will se fait traîner à une séance de speed dating par son meilleur ami, mais il ne s'attendait pas à y faire une si étrange rencontre...
7 Minutes :
Comme l’expliquait je-ne-sais-plus-quel scientifique, la perception du temps est aléatoire suivant les personnes ou les situations. Par exemple, sept minutes d’un moment agréable passeront relativement vite tandis que sept minutes d’un moment déplaisant en paraîtront le double. J’expérimentai en ce moment même ce sentiment, à ceci près que mes sept minutes paraissaient durer une éternité.
Je déteste les gens que je ne connais pas, je déteste être en leur compagnie. Je ne suis pas agoraphobe, mais cela y ressemble. J’aurai tout donné pour être chez moi, tranquillement installé dans mon fauteuil en train de lire un bon bouquin. Mais non, il avait fallu qu’Ethan me traîne jusqu’ici. Heureusement que c’est mon meilleur ami sinon je lui aurai probablement appris à nager avec des blocs de béton aux pieds.
Je déteste la femme qui se trouve devant moi. Elle me parle de son métier, mais je n’en ai rien à faire. Je ne pense qu’à mon chez moi. Je veux rentrer ! Et blablabla et blablabla, ça continue sans que rien ne puisse l’arrêter. Honnêtement, pour l’instant, c’est la pire des six femmes que j’ai rencontrées ce soir. 49 minutes pour 7 femmes, le speed-dating dans toute sa splendeur. Un regard bref à ma montre m’apprend que ma 41ème minute vient de s’écouler. Plus qu’une et je change d’interlocutrice, la dernière avant de rentrer.
J’ai eu de tout ce soir. Des executive women pour la plupart. Toutes plus occupées les unes que les autres, elles n’ont pas le temps de trouver chaussure à leur pied. La première travaillait dans une grande boîte de cosmétiques, Maybelline, je crois, sur la 34ème Ave. La seconde était...ah, je ne me souviens plus. Une aide-soignante dans un institut, il me semble. En fait, c’est après cette seconde rencontre que j’ai arrêté de m’intéresser à leurs vies. Je me suis mis en mode « écoute automatique » et j’ai attendu que cela passe. Je m’imaginais ailleurs, n’importe où, loin de ce hall d’hôtel luxueux.
Le speed-dating n’est pas vraiment la façon que j’imagine être la meilleure pour rencontrer ma femme. Je penche plutôt pour un coup du sort dans le genre des 101 Dalmatiens, vous savez, chacun promenant son chien dans le parc, nos laisses s’emmêlent et l’amour naît.
Ou alors, dans le style d’Un jour sans fin. Le même jour recommence sans fin, ce qui me permet d’apprendre un maximum de choses sur elle, et ensuite, la charmer de mes multiples talents.
Deux petits problèmes cependant : je hais les chiens et les jours ne se répètent que dans les films. Pas de chance. Donc, il faut en revenir aux méthodes traditionnelles et/ou dans le vent. Et le speed-dating est à la mode selon Ethan. Lui aussi est à la recherche de l’âme sœur. Mais lui n’a que 28 ans alors que j’en ai déjà 31. 31 ans au compteur et aucune liaison de plus de 12 mois au cours des dix dernières années, ce qui désespère ma mère.
- Quand aurai-je donc des petits-enfants ? me demande-t-elle sans arrêt.
Et moi, je lui réponds toujours la même phrase :
- Alors, quoi de neuf pour toi ?
Une contre-question pour éviter de donner une réponse. Très malin, très gamin, très malsain surtout, dans la mesure où j’ai pris la même habitude de ne pas répondre aux questions que l’on me pose.
- Et vous que faîtes-vous ? me demande alors mon 6ème rendez-vous.
Exemple parfait pour appliquer ma devise.
- Rien de bien intéressant. Alors qu’en ce qui vous concerne, votre travail a l’air passionnant.
Et le tour est joué. La voilà repartie dans ses explications. Un peu de liberté de gagnée.
Je disais donc que j’étais célibataire. Je pense que mon envie de partager ma vie à deux est trop souvent contrebalancée par mon envie de vivre seul. C’est la seule explication possible, sinon, j’aurai tout simplement épousé Christie il y a 3 ans. Elle était presque parfaite, à ceci près qu’elle était plus grande que moi. Je me voyais mal l’accompagner à l’autel devant tous mes amis. Simple réflexe de machisme primaire, mais j’assume. Notre relation était trop étouffante. L’intimité était étouffante. C’est pour cela que j’ai fui. Littéralement. Elle doit sans doute encore attendre que je rentre de mon footing.
Le gong salvateur met fin à la torture du 6ème rendez-vous. Elle s’apprête à me donner son numéro de téléphone, quand je prétexte une envie urgente pour m’éclipser. Et puis quoi encore ? Ces rendez-vous arrangés me mettent mal à l’aise. J’ai bien envie de profiter du changement de table pour partir mais Ethan me regarde, s’attendant à ce que je prenne la fuite. Il ne me laissera pas partir si facilement. Allez, fais un effort, Will ! Plus qu’un seul rendez-vous ! 7 minutes, c’est rien !
Je m’assois sans conviction à ma table, attendant mon dernier rendez-vous. Avec un peu de chance, je serai rentré pour le match de basket à la TV. Et je crois même qu’il me reste de la bière au frais. Parfait. De toutes façons, la soirée ne peut que s’améliorer. Mais où est-elle ? Je n’ai pas que cela à faire, moi ! Si cela se trouve, elle est partie, n’ayant même pas attendue le dernier rendez-vous. Cela ferait bien mes affaires. Je me retourne vers Ethan, assis à l’une des tables voisines. Il fait son numéro comme d’habitude. Dix contre un qu’il ramène 7 numéros de téléphone ce soir.
- Bonsoir, dit une voix dans mon dos.
Je me retourne et la vois installée en face de moi. Allez, qu’on en finisse, une bonne fois pour toute.
- Bonsoir, moi, c’est Will, j’ai 31 ans et je travaille dans une boîte de publicité. Oui, c’est intéressant. Oui, c’est épanouissant. Oui, c’est épuisant. Mais parlons un peu de vous, maintenant.
Elle semble un peu surprise. Je peux comprendre. Là, je fais très fort dans le je-m’en-foutisme.
- Vous n’aimez pas parler de vous, n’est-ce pas ?
- C’est exact. Donc parlons de vous, si vous le voulez bien.
- Non.
- Non ?
- Tout à fait, non.
Elle m’étonne.
- Bien, dans ce cas, je pense que nous n’avons rien de plus à nous dire.
- Vous croyez ?
Elle me surprend.
- Si aucun de nous deux ne veut parler, je nous vois mal attendre encore 6 minutes sans rien faire.
- Et si nous discutions d’autre chose, pour changer. De nos vies qui ont commencé depuis un bon moment, de ce que nous attendons de ces 7 minutes, de ce qui nous a poussé à venir ce soir. Qu’en pensez-vous, Will ?
- Rien du tout.
- D’accord.
Elle se tait.
Elle regarde autour de nous.
Nous sommes les seuls à ne rien faire.
- Et si je commençais par le début ? Je m’appelle Nell.
- Vous faîtes quoi dans la vie ?
- Rien de bien intéressant. Vous avez dit travailler dans la pub, cela a l’air intéressant.
- Vous ne m’avez pas répondu. Vous faîtes quoi dans la vie ?
- Vous répondez souvent aux questions par d’autres questions, Will ?
- A peu près autant que vous apparemment.
Elle sourit.
- Touchée. J’aimerai vous proposer quelque chose.
- Dites toujours.
- Vous ne me connaissez pas, je ne vous connais pas, donc, tout ce que nous pourrons nous dire ne sortira pas de cette pièce. Alors, pourquoi ne pas en profiter pour parler en toute honnêteté ?
- Super, une double psychanalyse en 7 minutes. Non 5 maintenant, dis-je en regardant ma montre
- Cela vous pose un problème ? Vous avez peur de quoi au juste ?
Elle me brusque.
Je me lâche.
- Du pouvoir que cela vous donnerait sur ma vie.
Elle me regarde différemment.
- Eh bien voilà...Etait-ce si compliqué, Will ? Vous avez peur que cela me donne le pouvoir de quoi ?
- Le pouvoir de connaître des choses personnelles sur moi et ensuite de les utiliser contre moi.
- Vous êtes paranoïaque de nature, ou c’est juste une faveur que vous m’accordez ?
Je ne réponds pas.
Elle continue.
- Bien, c’est mon tour. Je viens ici ce soir pour trouver quelqu’un à aimer et qui m’aime en retour. Cela fait trop longtemps que je vais de mec en mec, j’ai besoin de stabilité. A vous maintenant, c’est du donnant-donnant.
- Un ami d’enfance s’est marié la semaine dernière. Il avait 30 ans, ce qui fait officiellement de moi, le dernier adulte de mon ancienne école à ne pas être casé.
- Et l’opinion des autres vous préoccupe tant que cela ? Cela pourrait être un choix de votre part. Vous n’aimez pas être en couple ?
- Je ne sais pas. C’est sûr que cela a des avantages mais je ne suis pas certain que ce soit ce dont j’ai besoin.
- Pourquoi pas ? Une femme, des enfants, une maison en banlieue, c’est attirant, non ?
- C’est ce que vous, vous voulez, non ?
- Je suis comme vous, je ne sais pas.
Elle est comme moi.
- Croyez-vous au destin, Will ?
- J’aime parfois avoir la certitude que ma vie est déjà toute tracée, c’est réconfortant. Mais je ne supporterai pas une vie où je n’ai aucune marge de manœuvre.
- Bien. Donc, on peut résolument penser que si vous êtes ici, ce soir, c’est pour une bonne raison dont vous ne saisirez les conséquences que plus tard dans votre vie.
Je réfléchis.
Je ne vois pas où elle veut en venir.
- C’est possible, oui.
Le gong sonne. Quoi cela fait déjà sept minutes ? Que faire maintenant ? Elle n’a pas été jusqu’au bout de son raisonnement et cela m’ennuie.
- Time’s up, me dit-elle.
C’est étrange, elle me semble soudain plus attirante. Je ne sais pas si c’est le fait de ne rien savoir sur elle, ou si c’est notre conversation, mais j’ai soudain envie d’en savoir plus.
- Vous n’avez pas été jusqu’au bout de votre raisonnement, Nell.
- C’était peut-être voulu comme cela. Nos 7 minutes sont terminées.
Je me lance.
- Que diriez-vous de 7 autres minutes dans un bar ?
- Désolée, mais ce sera non. En ce qui me concerne, je ne crois pas au hasard, ni aux coïncidences. Je pense que tout nous arrive pour une raison bien précise.
- Et que pensez-vous de la raison qui nous a fait nous rencontrer ?
- Je ne sais pas encore. Mais je suppose que je comprendrai en temps voulu.
- Vous êtes plutôt bizarre, Nell, vous le savez ?
Elle ne répond pas.
- Nous verrons bien quand nous nous retrouverons « par hasard » dans une galerie marchande dans sept ans. Vous serez avec votre femme et vos deux enfants, et nous nous croiserons. Vous vous rappellerez alors de notre conversation de ce soir. Et vous vous rendrez compte que, finalement, la vie à deux est bien mieux que la vie tout seul et que vous avez bien fait de la rappeler.
- Qui cela ? Je ferais mieux de rappeler qui ?
- Ne vous faites pas plus idiot que vous ne l’êtes déjà, Will.
- Admettons que je vois où vous voulez en venir, quelle serait la raison du destin de nous faire nous rencontrer comme vous venez de me le dire ?
- Qui peut le dire ? Peut-être que je serais celle avec qui vous tromperez votre femme. Ou bien, je vous reverrai, éveillant en moi le remords jusqu’à la fin de ma vie d’avoir laissé passer ce soir une belle occasion d’être heureuse.
Elle se lève et quitte la salle avant que je n’aie eu le temps d’ajouter quoi que ce soit. Je la regarde marcher et elle disparaît dans la foule des personnes présentes dans l’hôtel. C’est sans doute la conversation la plus étrange que j’ai jamais eue.
- Alors ? me dit Ethan en me tapant dans le dos. Comment s’est passée ta soirée ? Des filles en vue ?
Il doit avoir dans ses poches des numéros de téléphone à ne plus savoir qu’en faire, alors que je n’en ai qu’un seul à composer.
- Il faut que j’appelle Christie. Excuse-moi.
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