mardi 28 février 2017

Courte Biographie d'Honoré de Balzac (1799 - 1850)

Honoré de Balzac 

Écrivain français, né le 29 Mai 1799 à Tours,  mort à Paris le 18 août 1850.
Honoré de Balzac : Écrivain & Romancier
Honoré de Balzac : Écrivain & Romancier Français (Tours 1799 ~ Paris 1850)

1. Biographie & résumé de sa vie :

Sa famille paternelle est originaire du Tarn, et son véritable nom était Balssa. Ce nom avait été porté par ses ancêtres, de rudes paysans du village de la Nougayré ; Anne-Charlotte, sa mère, née Sallambier, appartient à une famille de la bourgeoisie parisienne. La mère de Balzac a trente-deux de moins que son mari. Le père Bernard François Balzac, tout jeune, était venu à pied de sa province méridionale ; devenu clerc de procureur, puis plus tard secrétaire au conseil du Roi, directeur des vivres de la 27ème région militaire, il est mort le 19 juin 1829.

Sevré d’amour maternel dès son enfance, Honoré est un enfant élevé sans mère et en souffre beaucoup. A ce propos il dira plus tard " elle me haïssait avant que je ne fusse né ". Anne-Charlotte Sallambier lui préfére toujours un frère, Henry, né en 1807, dont la naissance est douteuse (le père serait Jean de Margonne, Chatelain de Saché). Cependant l’affection de sa sœur Laure, née le 29 septembre 1800, le console de bien de chagrins. Cette tendresse quasi incestueuse, à l’âge des hochets et des poupées, berce l’éveil d’Honoré à la vie et exalte sa soif de cajoleries féminines. Sa mère fait donc élever Honoré loin d’elle (il est confié à une nourrice) et, jusqu’à la mort de son fils, restée sa créancière, se montre d’une singulière âpreté. Le 18 avril 1802, naît sa sœur Laurence. 

En 1804, il est plaçé à la pension Le Guay de Tours.
De 1807 à 1813, pensionnaire au Collège oratorien de Vendôme, il est : élève médiocre, mais constamment plongé dans des lectures bien au-dessus de son âge, il développe un intérêt précoce pour la philosophie et un véritable génie de l’observation. Balzac revient une seule fois dans sa famille. Il a évoqué ces années de collège dans Louis Lambert. 

En 1814, il rejoint sa famille à Paris et poursuit ses études au Lycée Charlemagne, puis à la faculté de Droit. Il fait un stage chez un avoué Me Guyonnet de Merville, qui servira de modèle au Derville de ses romans. Que les femmes n’aient pas particulièrement encouragé le jeune étudiant inconnu, cela se comprend assez. " Un jeune homme très sale ", c’est ainsi que Vigny commence sa description, et c’est celle d’un contemporain. Comme il néglige son talent, il néglige son extérieur en ces année-là et ses camarades eux-mêmes se sentent mal à l’aise en apercevant une grosse couche de graisse sur sa chevelure, des dents gâtées qui laissent passer les postillons quand il parle trop vite, une barbe de plusieurs jours et des lacets dénoués.v Appelé par la vocation littéraire et certain de son propre génie, il s’installe, en 1819, dans une mansarde, rue Lesdiguière, et écrit, entre autre, un assez pitoyable Cromwell en vers. Il prête à plusieurs de ses personnages ces débuts austères d’écrivain. Leur liaison durera dix ans.

En 1820, il habite chez ses parents à Villeparisis. Sa soeur Laure épouse Eugène Surville tandis que Laurence épouse M. de Montzaigle. A Villeparisis, Balzac fait la connaissance d’une femme qui aura une influence décisive sur sa formation : Mme Laure de Berny, de 22 ans son aînée. Mme de Berny éveille lentement et doucement l’artiste, c’est par " ses conseils d’expérience " que Balzac est devenu le vrai Balzac. " Elle a été une mère, une amie, une famille, un ami, un conseil", déclarera-t-il plus tard. "Elle a fait l’écrivain, elle a consolé le jeune homme, elle a crée le goût, elle a pleuré comme une sœur, elle a ri, elle est venue tous les jours comme un bienfaisant sommeil endormir les douleurs...sans elle, certes, je serai mort ". Le sentiment qu’il avait d’avoir trouvé dans cette rencontre l’unique bonheur de sa vie, il l’a exprimé dans cette formule devenue depuis immortelle :" Il n’y a que le dernier amour d’une femme qui satisfasse le premier d’un homme ". Balzac la surnomme " la Dilecta ". Devenu son amant en 1822, il la fait beaucoup souffrir, mais lui garde une profonde tendresse. Balzac est à la fois un écrivain précoce et tardif. 

En 1825, Balzac tente d’assurer sa fortune : il s’improvise éditeur. Mal conseillé, il rachète une imprimerie peu rentable et s’installe dans un petit appartement au-dessus de l’atelier. Ses affaires marchent mal. Il décide avec Barbier de s’associer avec son fournisseur et de racheter une fonderie. Au début de février 1828, Barbier se retire, pressentant la catastrophe. Balzac reste seul propriétaire de l’imprimerie, et une nouvelle société est fondée pour l’exploitation de la fabrique de caractères. Il se retrouve avec soixante mille francs de dettes ! Balzac n’a plus d’autre solution que de reprendre la plume. La fonderie de caractères sera reprise par les enfants de Mme de Berny, et devint la célèbre fonderie Deberny. C’est autant d’échecs cuisants et de faillites, où Balzac compromet les ressources de sa famille, et celles de " la Dilecta ". Jusqu’à la fin de sa vie il devra traîner le poids des énormes dettes contractées dans ces aventures commerciales.

La première œuvre signée de son nom Les Chouans parait qu’en 1829, suivie de près par la Physiologie du mariage. Mais il avait gardé en portefeuille deux romans philosophiques Sténie et Falthurne. Il avait également écrit toute une série de romans faciles, historiques ou populaires, seul ou avec la collaboration d’une équipe de fabricants de littérature. Dès 1822, dans une lettre à sa sœur, il parlait d’un de ces ouvrages comme " d’une véritable cochonnerie littéraire ". Il refusera toujours de les republier sous son nom, mais il est certain qu’à cette fabrication " il se fit la main " et qu’ainsi, quand vient le temps de son œuvre véritable, il était entraîné à la technique romanesque : citons La Dernière Fée en 1822, Du droit d’aînesse, Histoire impartiale des jésuites, Annette et le criminel en 1825 et Code des gens honnêtes en 1826. Mais, écrit Stefan Sweig, "Balzac ne s’est jamais tout à fait débarrassé dans ses romans de cette facilité du feuilleton, des ses invraisemblances, de son épaisse sentimentalité. Et si le style, si la langue de Balzac restent irrémédiablement impurs tout le temps de sa vie, c’est simplement parce qu’à l’époque décisive de sa formation, il a négligé la propreté de sa personne ". Les Chouans, en 1829, ouvrent la période de quelques vingt ans, au cours de laquelle Balzac compose, remanie sans cesse, et publie environ 85 romans, longs ou brefs. Cette prodigieuse production littéraire, qui semble dépasser les forces d’un seul homme, ne l’empêche pas de mener une vie mondaine très active, de faire de grands voyages, d’avoir des aventures amoureuses, de tenter sa chance (sans succès) dans la politique et d’échafauder encore les plus extravagantes combinaisons financières. L’écho rencontré par Les Chouans et plus encore le bruit fait par la Physiologie du mariage, lui ouvre la porte des salons parisiens et les salles de rédaction : lié avec la duchesse d’Abrantès, reçu chez Mme Récamier, chez Sophie Gay, chez la princesse Bagration et le baron Gérard, il fréquente aussi le milieu des demi-mondaines et des gens de théâtre. Tout ces lieux lui permettront de rencontrer Victor Hugo, Alfred de Vigny, Alexandre Dumas et le peintre Delacroix. Il collabore activement aux journaux La Silhouette, La Mode, Le Voleur, et surtout La Caricature dont il est le principal rédacteur.
En 1830, il publie la première série des Scènes de la vie privée. L’écrivain, qui signe désormais " de Balzac ", s’arrogeant, au nom de l’aristocratie du talent, la particule que lui a refusée le hasard de naissance, est lancé. Ses œuvres se succédent rapidement. Du jour au lendemain il devient un romancier célèbre. Dès lors, s’il rencontre la résistance de la critique et des censeurs patentés, il est lu par toutes les femmes et par un public croissant. Il effectue un voyge en val de Loire avec Laure de Berny.
La Peau de chagrin en 1831, confirme sa célébrité et, tout en composant les ouvrages les plus difficiles qui entreront plus tard dans Les Etudes philosophiques, Balzac est un peu grisé par sa gloire. C’est l’époque de son dandysme : tilbury et chevaux, domestiques en livrée, canne à pommeau d’argent ciselé (en attendant le pommeau d’or serti de turquoises) il loge personnellement à l’Opéra. La folie de l’ameublement qui lui coûtera si cher, apparaît dans son appartement de la rue Cassini, qu’il fait installer somptueusement.
Il travaille la nuit, revêtu de son fameux froc blanc en cachemire, la cafetière de porcelaine toujours à portée de la main. En 1832 il commence les Contes drolatiques où il s’amuse à écrire la langue du XVIè siècle. Et, libéral teinté de saint-simonisme jusque là il se rallie au parti légitimiste, devient le défenseur du trône et de l’autel.
Il s’éprend de la marquise de Castries, qui se joue de lui, le traîne à sa remorque à Aix-les-Bains et à Genève en 1832, puis l’abandonne sèchement.
Il s’en venge en écrivant La Duchesse de Langeais en 1833, Le Curé de Tours, Le Colonel Chabert, Ferragus, La fille aux yeux d’or, Le Médecin de campagne, Eugénie Grandet, c’est à dire des ouvrages très divers évoquant les milieux aristocratiques et petits-bourgeois de Paris et de province développant des thèses politiques et sociales, compliquant à plaisir les intrigues les plus romanesques et cédant parfois au goût des conspirations et des influences occultes.

Cependant à la fin de 1832 Balzac a reçu une lettre anonyme lui exprimant l’admiration éperdue d’une femme. Il arrive à découvrir l’identité de celle qu’il avait appeler " l’Etrangère " : la comtesse polonaise Eveline Hanska, avec qui il engage une longue correspondance (418 lettres qui équivalent à ¼ de la Comédie humaine) et qui deviendra en 1850 Mme de Balzac.
Il la rencontre une première fois, avec son mari, M. Hanski, à Neuchâtel, en Suisse, en septembre 1833, puis passe quelques semaines avec elle, à Genève au début de l’année 1834. Cela n’empêche pas Balzac de reprendre à Paris sa vie mondaine et de nouer, cette même année 1834, une liaison durable avec la comtesse Guidoboni-Visconti, née Sarah Lowell. Il achève Séraphita et Le père Goriot inaugurant dans ce dernier livre son système des personnages reparaissant de roman en roman, mais sans concevoir encore le plan d’ensemble de La Comédie Humaine.

Tout en conservant son appartement de la rue Cassini, il en fait aménager un second, secret, rue des Batailles, à Chaillot. En mai 1835, il est à Vienne auprès de Mme Hanska et au début de 1836, fait, pour défendre les intérêts des Guidoboni-Visconti, dans une affaire d’héritage, un voyage en Italie où l’accompagne la jeune Mme Caroline Marbouty, déguisée en page. Il publie Le Lys dans la vallée dont Madame de Mortsauf doit plusieurs traits à Madame de Berny qui meurt cette année-là, et fonde une revue, La Chronique de Paris, qui va lui coûter cher.
Sa situation financière se complique, il est poursuivi par son éditeur, Werdet, et doit vivre caché pour éviter la contrainte par corps. Mais il n’en achète pas moins la villa des Jardies, près de Ville-d’Avray, qu’il fait rebâtir et installer magnifiquement. Au cours d’un nouveau voyage en Italie il rencontre Manzoni.

Au début de 1838, le voici en Sardaigne, à la recherche des mines d’argent de l’Antiquité, qu’il a le projet de remettre en exploitation. Il séjourne en février chez Georges Sand à Nohant et adhère à la Société des gens de lettres. Paraissent César Birotteau, La vieille fille, le début des Illusions perdues, la première partie de Splendeurs et misères des courtisanes, ces deux romans majeurs ne seront achevés respectivement qu’en 1843 et 1847. 

En 1839, Il est élu président de la Société des gens de lettres. Il prend la défense du notaire Peytel, accusé de meurtre mais ne parvient pas à empêcher sa condamnation.
En 1840, il fonde à nouveau une revue, la Revue parisienne, qu’il rédige à lui seul et qui ne dépassera pas le troisième numéro : il y publie deux articles restés célèbres : la critique féroce du Port-Royal de Sainte-Beuve, et l’éloge de La Chartreuse de Parme de Stendhal. Contraint de vendre sa propriété des Jardies, il s’installe à Passy, rue Basse. Victor Hugo se présente à l’Académie Française, Balzac retire sa propre candidature. A la fin de 1841, il met sur pied le vaste plan de La Comédie humaine et signe un traité avec quatre éditeurs associés pour soutenir l’entreprise. Venceslas Hanski est mort à la fin de 1841. Mais c’est deux ans plus tard seulement que Balzac peut faire le voyage à Saint-Pétersbourg, où il revoit " l’Etrangère " entre juillet et octobre 1843. Désormais il a une idée fixe : épouser Mme Hanska. Il redouble de travail pour lui assurer une existence digne d’elle, tout en faisant appel en plus d’une circonstance à la fortune de l’amie lointaine. Il la rejoint en 1845 à Dresde, l’emmène en Italie, puis à Paris, en Hollande, en Belgique avec sa fille et son futur gendre, le comte Georges Mniszech. Ils s’appellent les Saltimbanques, Balzac est Bilboquet. Pendant l’été, il l’emmène en Touraine, et en Provence à la fin de l’année, avant de gagner l’Italie. La laissant en Italie avec les siens, il rentre à Paris en novembre, mais la rejoint à nouveau à Rome au mois de mars suivant, en 1846. Car sa servante-maîtresse, Louise Breugnot, dite Mme de Brugnol, fait main basse sur les lettres de l’Etrangère et menace Balzac d’un chantage. 

En 1846, Mme Hanska accouche à Dresde d’un fils mort-né. C’est pour Balzac un coup terrible, dont il ne se relèvera pas. Il acquiert en 1846 une maison rue Fortunée (actuelle rue Balzac) qu’il installe à grand frais pour y recevoir Mme Hanska et se ruine chez les antiquaires. La Cousine Bette et Le cousin Pons sont achevés cette même année. Ce sont les dernières grandes œuvres à partir de cette date. Balzac, malade, sent ses facultés créatrices décroître. Il n’en échafaude que plus de projets de romans, et de plus en plus vastes, mais n’en termine aucun. 

De septembre 1847 à février 1848, il séjourne en Ukraine, chez Mme Hanska, dont la famille essaye d’empêcher le mariage avec Balzac. Elle-même semble hésiter, effrayée par le gaspillage balzacien. 
Nouveau séjour ukrainien à la fin de l’année 1848, en septembre. Il y arrive malade. Balzac échoue aux élections législatives pour la Constituante, et, par deux fois, à l’Académie, où il n’obtient que les voix de Lamartine et de Victor Hugo. Sa santé décline rapidement. 
Il passe toute l’année 1849 en Ukraine chez Mme Hanska.
Au début de 1850, il n’en part pas moins pour Kiev, où il retrouve Mme Hanska, sa fille et son gendre. Le 14 mars, à Berdicheff, il épouse son amie, et au mois de mai suivant M. et Mme Honoré de Balzac reprennent le chemin de Paris, à petites étapes, parce que la santé du romancier exige des précautions. Lorsque, le 21 mai, ils arrivent rue Fortunée, où Balzac avait tout fait préparer pour leur entrée dans la maison du bonheur, personne ne répond à leurs coups de sonnette. Le gardien chargé de les recevoir avait perdu la raison et se cachait, prostré, dans un coin de la demeure illuminée !
Balzac ne manqua pas de voir là un funeste présage. A peine arrivé, il est forcé de s’aliter, pour ne plus se relever. En juillet, ses souffrances deviennent atroces. Au début d’août, les étouffements commencent. Il entre en agonie le 18. Ce jour-là Victor Hugo vient le voir, et il raconte cette dernière visite dans Choses vues. Mme de Balzac se tenait loin de la chambre du moribond.
Selon la légende, lorsque Honoré de Balzac s’éteint en 1850, son dernier mot est pour appeler à son secours Bianchon, le médecin fictif de la Comédie humaine : l’œuvre titanesque avait pris le pas sur le réel. L’enterrement a lieu le 21 août au cimetière du Père-Lachaise, ce haut lieu de l’œuvre balzacienne d’où le jeune Rastignac avait lancé un défi à Paris : " A nous deux maintenant ". Victor Hugo prononçe l’éloge funèbre du romancier, qui est une page magnifique :


Tous ses livres ne forment qu’un livre, livre vivant, lumineux, profond, où l’on voit aller et venir, et marcher et se mouvoir, avec je ne sais quoi d’effaré et de terrible mêlé au réel, toute notre civilisation contemporaine, livre merveilleux que le poète a intitulé Comédie et qu’il aurait pu intituler Histoire... Livre qui est l’observation et qui est l’imagination ; qui prodigue, le vrai, l’intime, le bourgeois, le trivial, le matériel et qui par moments, à travers toutes les réalités brusquement et largement déchirées, laisse tout à coup entrevoir le plus sombre et le plus tragique idéal. A son insu, qu’il le veuille ou non, qu’il y consente ou non, l’auteur de cette oeuvre immense et étrange est de la forte race des écrivains révolutionnaires. Balzac va droit au but. Il saisit à bras le corps la Société moderne. Il arrache à tous quelque chose, aux uns l’illusion, aux autres l’espérance, à ceux-ci un cri, à ceux-là un masque.

On a immédiatement donné son nom à la rue Fortunée, où Ève de Balzac, qu’on accusa de s’être trop vite consolée, vécut jusqu’à sa mort, en 1882. Dans La Mode du 24 août 1850, Barbey d’Aurevilly écrit : « Cette mort est une véritable catastrophe intellectuelle à laquelle il n’y a rien à comparer que la mort de Byron [...] »11

Trente ans de préparation dans l’ombre et le silence : 18 ans de création effervescente, au milieu des soucis, des aventures de toute sorte et des divertissements ; trois ans de progressif déclin. La vie de Balzac ressemble à celle de ses personnages préférés. L’imagination y joue un rôle décisif, commande les folies, les excès, les réussites et les échecs. Persuadé qu’il est des recettes pour vivre très longtemps, et ayant hérité de son père cette préoccupation de la longévité, Balzac vécut de telle sorte qu’il n’avait dépassé que de peu la cinquantaine lorsqu’il mourut, épuisé.
L’un des thèmes majeurs de son œuvre entière est la consommation de l’énergie vitale pour tous les usages qui en sont faits, et tout particulièrement par les activités de l’esprit. L’existence qu’il a menée, se croyant le maître de ses forces et les dépensant sans la moindre prudence, illustre tragiquement cette philosophie de l’énergie. Peu d’hommes ont fait preuve d’une telle démesure, et gaspillé avec autant d’imprévoyance des forces immenses. Mais l’œuvre est là pour compenser tant de déraison. C’est à elle, finalement, que Balzac a sacrifié toute prudence. Non pas avec l’avarice de soi qui l’eût confiné dans son cabinet de travail : le résumé même le plus succinct de ses travers suffit à montrer que cet homme a vécu généreusement et n’a rien refusé des sollicitations de l’existence. Mais, tout assoiffé qu’il était de jouissances, de spectacles, d’activités multiples et de plaisirs renouvelés, il revenait fidèlement à son écritoire. Dans une vie singulièrement dispersée, il reste une unique constante : le travail. Et un travail qui n’était pas seulement, comme trop souvent on l’a imaginé, celui de l’invention fébrile - Le Père Goriot écrit en trois jours et trois nuits, chez ses amis Margonne, au château de Saché - mais aussi celui, patient et humble, de la mise au point minutieuse, des pages sans cesse reprises, remaniées, corrigées. Cette œuvre géante, qui demeure si vivante alors que le monde qu’elle évoque est depuis longtemps rentré dans l’ombre du passé, doit autant au labeur qu’à la générosité de la nature. Elle a été payée par beaucoup de souffrances. L’enfant sans mère, le collégien solitaire dévoré d’angoisses métaphysiques, l’imaginatif conscient de son extraordinaire génie, celui qui se considérait comme le Napoléon et le Geoffroy Saint-Hilaire de la littérature, l’amoureux rêveur d’une princesse lointaine, le causeur ivre de sa propre parole, l’inventeur malheureux et l’aventurier d’affaires n’ont été 6 que les incarnations successives ou simultanées d’un même prodigieux créateur de personnage et d’évènements. Longtemps dédaignée par les délicats, méconnue ensuite par ceux qui n’y surent voir que la copie servile d’une réalité historique, l’œuvre issue de cette existence magnifique et douloureuse n’a cessé de fasciner de nouveaux lecteurs. Il n’en est pas qui soit, après un siècle, aussi vivante, aussi étrangement contemporaine de la postérité qui continue à s’y alimenter.

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