mardi 28 février 2017

M comme Aimer

Le résumé :
Un adolescent, un lycéen banal, anonyme, timide, sans imagination, ni digne d'intérêt ni digne d’aimer selon lui, va pourtant contre toute attente avoir le coup de foudre. Les idées se bousculent dans sa tête, pourquoi le Seigneur lui inflige cela, à lui ?

Aimer :

Écrit par Negatum
Les ados et l'amour

Un bien pauvre mot, n'est-ce pas ? Cinq lettres. Trois voyelles. Deux consonnes. C'est bien peu, ou trop peut-être pour incarner l'Amour, pour franchir des milliers de lèvres en des millions de murmures et de baisers, pour parcourir le monde au gré des cris, des pleurs et des désespoirs, pour emmener les âmes tourmentées aux ultimes sommets du Paradis ou pour les plonger au fin fond des Enfers. 

Aimer. A comme Ange. I comme Imaginaire. E comme Elle, ou comme Aile, je ne sais pas. Et R comme Rire.

Aimer. Si seulement il n'y avait pas le M dans Aimer.. Si seulement il ne de dressait pas là, au cœur de l'Amour, larme d'argent et d'airain dans un coffre de plomb, aérien, magnifique, si seulement il n'était pas la clé de voûte d'Aimer, si seulement il n'était pas les ailes qui permettent de s'envoler l'instant d'une danse, si il n'était pas lui même ce mot, ce mot qui nous réchauffe un peu, parfois, comme une petite flamme qui brille dans la nuit, ce mot qui nous fait soulever les montagnes, maudire nos dieux et bâtir nos destinées. 

Si seulement il n'y avait pas de M dans aimer.

M comme Aime.

Il n'a jamais eu grand chose à dire. A dire aux gens. A dire au Monde. Il ne s'est jamais considéré comme intéressant, comme digne d'exister à travers des lettres, des mots et des phrases, de vivre fait d'encre et de papier, d'être le héros tragique d'une nouvelle dont on devine déjà la chute funeste. Il n'est qu'un anonyme, un homme parmi les hommes, surgi du néant par l'imagination d'un autre qui n'existe pas-pas ici, pas maintenant, pas dans ce monde-. C'est peut-être pour ça qu'il n'a pas grand chose à dire, d'ailleurs. C'est peut-être parce qu'il n'est que fragments de vie éclaté sur des lettres qui traversent le temps, qui traversent le monde. Enfin, il n'est pas sûr. Il n'a jamais eu beaucoup d'imagination, de toute manière. 

Il est tout seul, assis sur les bancs d'un lycée blanchi par la neige, les mains dans les poches, et il regarde les gens qui tournent lentement autour de lui, qui surgissent dans sa vie l'espace d'un instant avant de replonger dans l'oubli. Les flocons tombent par milliers. Et il pense. 

Il ne pense pas à lui. Des mots pour lui, il n'en a jamais eu, de toute façon. Il ne se connaît pas assez, il ne les mérite pas, ces mots, il n'en est pas digne, il est trop banal pour en avoir, de toute façon. Il pense à elle, rien qu'a elle. Il n'y a qu'elle qui importe. 

Il s'en souvient très bien. C'était il y a une semaine, ou peut-être un mois, ça semble si loin, l'instant magique, l'ultime scintillement qui bouleversa sa vie. Il était déjà là, comme maintenant, assis sur ce banc, les mains dans les poches, regardant le Monde tourner autour de lui et le Temps tourner autour du Monde. Il a oublié qu'elles étaient ces pensées, à ce moment-là, mais de toute façon, peu importe. Il a entendu un soupir, une respiration, il a senti un parfum, il a tourné la tête, il l'a vu, elle. 

Elle n'était qu'une amie, à l'époque, moins même, une connaissance. Qu'une fille comme les autres. Une anonyme, une femme parmi les femmes, surgi du néant par l'imagination d'un autre qui n'existe pas –pas ici, pas maintenant, pas dans ce monde-. Un fragment de bonheur égaré dans les yeux de Dieu, en somme. 

Ils avaient discutés. Il était timide, comme toujours, et puis, il n'avait pas grand chose à dire. Que pouvait raconter, un homme comme lui, de toute façon ? Ce fut surtout elle qui parla –cela, il s'en souvient, il s'en souvient parfaitement-. 

Et puis, leurs regards se sont croisés. Il se souvient que ses yeux à elles étaient gris, non pas d'un gris de ruine, d'un gris de cendre, mais d'un gris de fumerolles, de nuées, et que derrière cette fumée on pouvait deviner un feu, un colossal incendie qui s'était caché du monde, un ange d'un autre temps réfugié sous ses pupilles pour échapper aux péchés des hommes. Il se souvient de son sourire, et c'était le sourire de Dieu. 

Le Temps s'est alors arrêté.

Le Monde s'est alors mis à tourner.

De douces pensées fiévreuses bondirent dans les brumes de son esprit. Elles jouaient avec les souvenirs, dansaient avec les soucis et embrassaient confusément les chagrins. Il lui sembla voir la trame de l'univers se déchirer lentement, et derrière lui se cachaient nerveusement des milliers de destins et d'époques, de dimensions et d'étoiles. Il a vu que ce monde, que ce temps, que sa vie et celle des autres, n'étaient qu'une goutte d'eau dans un océan de terres, et que cet océan lui même n'était qu'une larme qui coulait sur la joue de Dieu. Il eut la vision fugace d'une rose qui poussait au milieu d'un champ de ruine, d'une rose embrasé par un crépuscule qui durait depuis milles éternités. Il vit des millions d'autres choses, mais il ne peut les enfermer dans des mots –il n'a pas beaucoup d'imagination, de toute manière-. Et la neige, et le vent, et le lycée, et les gens qui apparaissaient et qui disparaissaient du Destin, de son destin, et le banc, et les étoiles, et le soleil qui perçait derrière les nuages, et la lune qui continuait sa course caché derrière la Terre, et lui, et elle, tournaient, lentement, tournaient, tournaient, collés les uns au autres, tournaient, tournaient, au milieu des univers, devant les étoiles et devant Dieu, tournaient, tournaient, de plus en plus vite, de, plus en plus fort, tournaient, tournaient, dans la vaste salle de bal du Firmament, tournaient, tournaient, et dansaient la fabuleuse danse des siècles, l'incroyable valse de l'Avenir. 

Elle avait fini par détourner le regard. La sonnerie avait gueulé de son hurlement habituel. Elle s'était levée. Elle était partie.

Voilà.

Au début, il n'avait pas compris, il avait refusé de comprendre. Il était trop banal, pas assez intéressant pour tomber amoureux, non, ça ne pouvait pas arriver, pas à lui, non, s'il vous plait. Il n'avait pas assez d'imagination pour rêver d'elle, il était trop anonyme pour sentir son cœur battre quand il la croisait, trop banal pour l'admirer, elle était trop elle pour lui. L'Ange de l'amour, celui caché dans l'ombre et la fumée, il avait du se tromper, il avait du tirer à coté de sa cible, il a du le toucher, lui au lieu d'un autre, par erreur, il en sais rien, il s'en moque, ça n'a pas beaucoup d'importance, il est pas fait pour elle, il est pas fait pour l'AIMER elle, il est fait pour personne, pour AIMER personne, alors, s'il vous plait, Dieu, réparez ça, je vous en supplie, pas maintenant, pas ici, pas Elle, pitié ! 

Mais le Seigneur resta muet, et il du se rendre à l'évidence. Il était tombé amoureux d'elle.

Ca faisait une semaine maintenant. Une semaine qu'il ressassait sans cesse cette seconde où sa vie avait changé. Une semaine qu'il ne pensait qu'à Elle, ou il n'y avait qu'Elle qui comptait. 

Il aurait aimé faire quelque chose, à ce moment-là, au moment où il avait vu l'univers se déchirer, au moment où elle était partie. Il aurait voulu lui sourire, lui parler, la faire rire, danser avec elle, l'embrasser. Quelque chose, n'importe quoi, pour exister à ses yeux, et pour la rendre un peu plus heureuse. Mais il n'avait rien fait. Il ne l'avait pas retenue quand elle s'était levé du banc. Il n'avait rien dit, parce qu'il n'avais rien à dire, comme toujours. Bordel, qu'est-ce qui lui arrive ? 

Il ne sait pas si il doit être heureux ou triste. Il reste, comme ça, assis sur le banc, les mains dans les poches, hésitant entre bondir de joie ou pleurer de toutes les larmes de son corps, entre remercier Dieu et le maudire, entre la chercher et l'éviter, entre l'Aimer (…pauvre mot, n'est-ce pas ?…) et la haïr, entre aller aux ultimes sommets du Paradis ou au fin fond des Enfers. Il ne sait pas. Il ne sait rien, il n'a jamais rien su. Rien su de la Vie. Rien su de l'Amour. Enfin, peut-être, peu importe finalement, il n'a pas beaucoup d'imagination. La seule chose qui importe, c'est Elle. 

Elle…

La sonnerie retentit dans le lointain, sonnant la fin des doux rêves de la récréations, et le début des froids discours de profs endormis. Il regarde sans les voir les élèves qui prennent leur sac en grognant et qui se dirigent vers les bâtiments blancs-neiges. Lui aussi obéit machinalement aux ordres du hurlement criard, lui aussi se lèvent, lui aussi marchent vers le lycée. Il est un peu triste de devoir aller en cours, car il sait qu'il ne pourra plus penser à elle, plus penser du tout, plus vivre pendant toute l'après-midi. 

Un timide rayon de soleil surgi furtivement des nuées. Des traits de lumières crépusculaires descendent sur terre, et éclairent la neige de reflets crépusculaires. Il sourit en les voyants. Il a l'impression qu'ils lui souhaitent tout le courage du monde. Pourquoi pas, après tout ? L'assistance des astres, c'est déjà quelque chose. 

Au loin, il aperçoit sa silhouette. Elle est avec une amie. Elle rit, comme toujours, elle rit. Elle est si belle quand elle rit…

Il ne cherche pas à la décrire avec des mots. Il sait que c'est inutile, qu'il n'y arrivera pas de toute façon, et que ça risque de brouiller son souvenir, de grimer son portrait, de l'enfermer dans quelques lettres abattues brutalement sur du papier blanc, blanc comme la neige. 

Il s'avance vers elle, pour la saluer. Il n'osera jamais lui dire. Il le sait. Il est trop banal pour elle, ça pourrait la blesser, l'embarrasser, et il ne voudrait pas ça, pour rien au monde, non, pour rien au monde elle ne voudrait qu'elle soit malheureuse. Alors il n'a plus qu'a attendre. Que son cœur oublie un peu l'océan d'univers, et la neige, et le vent, et le lycée, et les gens qui apparaissaient et qui disparaissaient du destin, de son destin, et le banc, et les étoiles, et le soleil qui perçait derrière les nuages, et la lune qui continuait sa course caché derrière la terre, et lui, et elle… 

Il a perdu un peu de son anonymat durant cette histoire. Mais ce n'est pas grave, il est peut-être devenu digne d'être le héros de ce texte, après tout. C'est tout ce qu'il a gagné, lui, un homme parmi les hommes, surgi des souvenirs d'un homme qui existe, et qui aime aussi. Après tout, ce n'est peut-être pas plus mal… 

Je n'ai jamais eu beaucoup d'imagination, de toute façon.

Aimer.

Un bien pauvre mot, n'est-ce pas ? Cinq lettres. Trois voyelles. Deux consonnes. C'est bien peu, ou trop peut-être pour incarner l'Amour, pour franchir des milliers de lèvres en des millions de murmures et de baisers, pour parcourir le monde au gré des cris, des pleurs et des désespoirs, pour emmener les âmes tourmentées aux ultimes sommets du Paradis ou pour les plonger au fin fond des Enfers. 

Aimer. A comme Ange. I comme Imaginaire. E comme Elle, ou comme Aile, je ne sais pas. Et R comme Rire.

Aimer. Si seulement il n'y avait pas le M dans Aimer.. Si seulement il ne de dressait pas là, au cœur de l'Amour, larme d'argent et d'airain dans un coffre de plomb, aérien, magnifique, si seulement il n'était pas la clé de voûte d'Aimer, si seulement il n'était pas les ailes qui permettent de s'envoler l'instant d'une danse, si il n'était pas lui même ce mot, ce mot qui nous réchauffe un peu, parfois, comme une petite flamme qui brille dans la nuit, ce mot qui nous fait soulever les montagnes, maudire nos dieux et bâtir nos destinées. 

Si seulement il n'y avait pas de M dans aimer.

M comme Aime.
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