mercredi 29 octobre 2014

J'ai retenu ma main

Sous un ciel orageux, lors d’une nuit instable,
Sibylline, la mort s’est assise à ma table,
Elle a pris dans sa manche un vieux tarot divin 
J’ai sorti du placard le couvert et du vin…

Sans un mot ni regard, j’ai rempli les deux verres
Puis j’ai feins d’ignorer ses œillades sévères,
D'être venue à moi pour jouer mon trépas, 
Pensait-elle vraiment me priver d’un repas ?

Dédaigneuse et prenant des façons de monarques,
Avec soin, lentement, sans faire de remarques,
Elle pointa vers moi son index contrefait 
Et se mit à sourire hautaine de ce fait… 

Lentement, j’ai goûté, plutôt fier de l’audace,
La pulpe du raisin ignorant la menace,
C’est alors que j’ai dis :  vous qui venez chez moi,
Sans même prévenir, pardonnez mon émoi, 

Je n’ai de vous que faire et point de grain à moudre,
Le temps n’est pas venu, je n’irai pas m’absoudre
Et ne saurai complice entrouvrir mon tombeau
N’attendez pas de moi que je tombe en lambeau,

De ressentir mon âme inscrite en toute chose,
Je méconnais l’effroi de la métamorphose,
Ici comme partout, qu’importe l’univers,
Nul ne m’empêchera de composer des vers !

C’est en bravant ses yeux de braises écarlates
Que d’un geste gaillard j’ai balayé les cartes,
Le vide s’est ouvert monstrueux et soudain
Mais avant de tomber, j’ai retenu sa main…

Tous droits réservés © Philippe Lemoine
Ce poème symbolique se distingue par l’extrême subtilité avec laquelle a été conçu son noyau sémantique et la richesse des significations qu’il connote .

Construit sur la dualité : mort / vie, son auteur se place énergiquement dans la lignée des poètes romantiques allemands qui, sous l’influence de la philosophie de volonté de Friedrich Nietzsche ( 1844 – 1900 ) et contrairement à leur homologues français , adoptèrent les idées du défi de la mort et l’attachement ferme et inébranlable à la vie et influencèrent à leur tour, entre autres, les grands poètes arabes Gibran Khalil Gibran ( 1883 -1931 ) et Aboulkacem Chebbi (1909 -1934 ). Le grand Chebbi n’a-t-il pas donné à son unique recueil ce titre très significatif : « les chants de la vie » ? et n’y a-t-il pas dit :

Je vivrai malgré la maladie qui me ronge 
Et les ennemis qui m’assaillent 
Tel L’aigle sur le sommet le plus haut 

C’est exactement le choix pour lequel opte l’auteur de ce poème, en le clôturant par ces deux vers :
Le vide s’est ouvert monstrueux et soudain, Mais avant de tomber, j’ai retenu ma main ...
Mais notre poète ne s’attache pas uniquement à la vie. Il clame aussi à haute voix son dévouement perpétuel pour sa vocation aussi bien dans ce monde-bas que dans l’au-delà :

De ressentir mon âme inscrite en toute chose,
Je méconnais l’effroi de la métamorphose,
Ici comme partout, qu’importe l’univers,
Nul ne m’empêchera de composer des vers !

Cependant, ces deux liens ne font, en réalité, qu’un, car le poète n’a pas d’autre vie hors de son univers poétique qu’il sent éternel et impérissable et que la mort est incapable d’en venir à bout.
Et ici retient surtout notre attention la conception que l’auteur a de la poésie, laquelle, loin d’être un simple art de versification, est VIE , une voie tracée et un engagement pour l’éternité.

Sur le plan du style, l’auteur a usé finement de la technique de retardement, en ne dévoilant l’idée charnière du texte que dans les deux ultimes vers .D’un autre côté , la narrativisation du poème lui a conféré beaucoup de suspense.

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