Poème du jour : Jeu d’échecs
Par : Qamar Sabri Al Jasem (poétesse syrienne)
Ils étaient deux amis sur le banc de l’école
Ils partageaient l’enfance
Ils moururent sur le pion de l’illusion
Ils partageaient le plomb avec les souvenirs
Qui s’étaient ouverts comme le chas de l’aiguille
Ils ne connaissaient pas la victime qui avait gagné
La vengeance ne savait pas par lesquels
Et de quelle famille il faudrait commencer
Ou bien faudrait-il prendre
Le joueur remplaçant ?
On n’a pas demandé à l’arbitre international
Pourquoi tout le monde meurt
Dans un seul camp ?
Comment la loi réglant le jeu de cette vie
A-t-elle changé ?
Comment les forteresses
Démolissent-elles les forteresses
Dans un seul camp ?
Comment ? …comment ?
Comment se fait-il que l’équipe victorieuse
Est celle qui a été tuée?
Comment donc un joueur gagne
Sans déplacer la moindre pièce ?
Comment l’échiquier international
A-t-il passé
En Orient
De sa forme géométrique
Commentaire poétique :
S’il est vrai qu’aucun thème n’est proscrit en art - Et la poésie en est l’un des plus anciens et des plus nobles –, les thèmes politiques ont toujours constitué un terrain mouvant sur lequel le poète risque de glisser vers le discours dénotatif monotone, soit en haranguant les foules, soit en prodiguant des louanges ou en se livrant à des attaques verbales acerbes. Consciente, sans doute, de ce danger qui la guette , l’auteure, s’en est prémunie, dès le début, par le choix d’une métaphore charnière qu’elle a placée d’abord dans le titre (Jeu d’échecs) avant d’ériger sur elle l’édifice de son poème tout entier.
Bien entendu, diriez-vous, que cette métaphore est très courante dans le domaine politique mais c’est de la manière de sa mise en œuvre dans le contexte évoqué ici qu’elle tire son originalité. Et ce contexte est la guerre fratricide qui sévit en Syrie et qui a fait, jusqu’ici, près de cent trente mille morts. Voici donc le point de départ : un arrière-fond de guerre civile conçu sous la forme d’une image métaphorique. Ensuite, tous les détails sont brossés à coups de connotations et de sens seconds desquels on déduit la dimension humaine de cette tragédie qui met en opposition, dans deux camps ennemis, des concitoyens qui avaient reçu la même éducation à l’école et passé toute de leur vie ensemble (ils étaient deux amis sur le banc de l’école/ ils partageaient l’enfance ).On déduit aussi le caractère illogique et déraisonnable de cette guerre au cours de laquelle aucun camp ne peut s’enorgueillir d’être victorieux car c’est la patrie qui est assassinée chaque fois qu’une victime tombe dans l’un des deux clans et dans ce cas, aucun camp ne marque des points au détriment de l’autre mais ils sont tous les deux perdants.
La poétesse met à nu également le complot international fomenté contre la Syrie sous couvert de défendre le peuple syrien et qui n’est qu’une répétition du scénario irakien et libyen, comme si les principes institués par la charte internationale cèdent la place à leurs contraires lorsqu’on les applique sur le monde arabe.
Un poème politique émouvant inspiré de la situation désastreuse qui équivaut en Syrie et dans d’autres pays arabes avec la bénédiction des puissances internationales et écrit dans une langue hautement poétisée avec une très grande finesse.
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