mardi 16 juin 2015

Je ne suis pas encore mort

Poème du jour : Je ne suis pas encore mort
Par :Paul Nwesla Biyong 

Je ne suis pas encore mort 
Les nuages se sont arqués 
Pressant leurs poumons aqueux pour vomir sur moi 
Un août noyé tant il n’a cessé de pleuvoir sur Douala 
Et tous ces commieksants sinois 
Qui nous rongent de l’intérieur comme une toux virale 
Des ombrelles qui ne résistent même pas au vent 
Des caniveaux qui débordent à la première pisse des cieux 
Le string qui s’effiloche dès qu’elle gratte où ça démange 
Des chaussures qui perdent leurs semelles quand on presse le pas 
Tellement trivial alors passons 
Je ne suis pas encore mort 
Crains-tu la menace Rouge 
J’ébola par-ci par-là Boko Haram 
Comme la terre d’Ariel Charogne aussi je tue 
Sous le nez des Gendarmes tus qui soupirent pour l’A-fric 
Qui elle se re-belle tant ses formes attirent et son sein riche 
Arrache un surprenant taux de croissance 
Pourtant le prix de l’essence flambe 
Le pas peuple crie 
Il n’y a pas de travail mais des demeures détruites…à raison 
Passons 
Je ne suis pas encore mort 
Innocent attend la préface de son recueil 
Le Phénix se demande bien si je ferai carrière littéraire 
La fermeture des frontières avec le Nigeria coupe ma course vers un autre titre 
Julienne et ses frères iraient facilement à l’école 
Si je ne m’investissais pas autant en babioles 
C’est bien décousu tout ça je sais 
Mais je ne suis pas encore mort 
Seulement je commence franchement à détester ce mois 
Out.
NWESLA BIYONG
Ce poème a été écrit dans un contexte purement local au cours du mois d’août .Et cela se constate dans les multiples références aux divers aspects de la vie de tous les jours pendant ce mois dans la capitale camerounaise, citée de nom : Douala. Mais cette pluralité thématique, doublée de l’usage d’un style presque délirant, débordant d’images réelles puisées dans ce contexte spatio-temporel – ce que reconnaît le poète lui-même (tellement trivial alors passons - c’est bien décousu tout ça je sais) a été ramené, au niveau des structures profondes du texte, à un thème unificateur :la critique de la réalité dégradée en Afrique en général .Et cela apparaît dans les jugements acerbes et ironiques que le locuteur émet sur tout ce qu’il voit et partout où il pose son regard ( hégémonie des chinois dans le secteur commercial –détérioration de l'infrastructure de l'assainissement – l’inondation du marché par des produits de mauvaise qualité ( le string qui s’effiloche dès qu’elle gratte où ça démange -
des chaussures qui perdent leurs semelles quand on presse le pas) introduits, sans doute, illégalement par des réseaux de contrebande - cherté du prix de l’essence -chômage – la passivité des états africains vis-à-vis des exploitants étrangers ( l’A-fric qui elle se re-belle tant ses formes attirent et son sein riche ) – l’absence de conscience chez le peuple qu’il appelle « pas peuple » …).

Ce tableau désolant que brosse l’auteur de sa ville est, en réalité, presque le même dans tout le continent. Stylistiquement, ce poème s’inscrit dans le genre dit réalisme critique dont l’objectif selon le canadien F.Dufour est de dévoiler les mécanismes d’oppression et de permettre leur modification (Dufour, 2013, p.57) mais sans verser à aucun moment dans la reproduction photographique du réel. Bravo Nwesla !

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